Agrobusiness au Sénégal : Pourquoi les promesses de Faye et Sonko peinent à convaincre ?
Libreville, un dimanche pluvieux de mars. Sous la pluie tropicale, une volée de colombes blanches s’élève dans le ciel, libérée par des prêtres en l’honneur du général Brice Clotaire Oligui Nguema. La scène, à la fois solennelle et chargée d’espoir, illustre la ferveur qui entoure le président de la transition gabonaise. La veille déjà, une foule de citoyens et de soldats acclamaient ce chef d’État atypique lors d’un grand rassemblement. Ces manifestations d’enthousiasme s’articulent autour d’un mouvement inédit qui embrase le pays : le Rassemblement des Bâtisseurs. Lancé par le président de la Transition lui-même, ce vaste élan populaire se veut le socle d’un Gabon nouveau, libéré de l’ancien ordre et résolument tourné vers la refondation nationale. La question se pose avec acuité : cet élan patriotique et inclusif sera-t-il capable de refonder le pays en profondeur et de tenir la promesse d’un Gabon « renaissant de ses cendres » ?Un mouvement d’unité nationale autour du « Bâtisseur en chef »
« Un seul peuple, un seul chef, une seule vision, une seule direction, un seul mouvement » : tel est le credo qui s’est répandu ces dernières semaines à travers le Gabon. En quelques jours à peine, le Rassemblement des Bâtisseurs (RDB) a agrégé autour de Brice Oligui Nguema une myriade d’associations de la société civile, de syndicats, de partis politiques et de personnalités de tous horizons. Plus de 1 200 associations auraient déjà rallié la plateforme, bientôt rejointes par des centaines de citoyens engagés individuellement dans cette aventure collective. Le siège du mouvement, au nord de Libreville, ne désemplit pas : leaders d’opinion, cadres locaux, jeunes activistes ou notables traditionnels s’y pressent pour apporter leur pierre à l’édifice. Le mot d’ordre est clair – construire ensemble. « Tous les Gabonais qui partagent la vision du candidat sont invités à rejoindre la plateforme », a déclaré Maître Anges Kevin Nzigou, coordonnateur général du RDB, lors du lancement officiel le 12 mars dernier. Ce jour-là, Brice Oligui Nguema, quittant pour un temps son uniforme de général, a présenté sa démarche sous la bannière des « Bâtisseurs », symbole d’une ambition collective : rebâtir le Gabon sur de nouvelles bases.
Cette mobilisation hors norme transcende les clivages partisans traditionnels. Des figures autrefois opposées se retrouvent côte à côte pour soutenir l’homme fort de la transition. Des associations citoyennes naguère critiques du pouvoir, comme Pour le Peuple (PLP), font désormais allégeance en saluant « une convergence de visions » avec le programme du président. Même des poids lourds de l’ancien régime ou de l’opposition modérée rallient le mouvement, convaincus que l’heure n’est plus aux querelles de personne mais à l’union sacrée pour l’avenir du pays. Dans la province du Haut-Ogooué, fief historique de la dynastie déchue, les sages traditionnels ont publiquement appelé à voter pour celui qu’ils nomment désormais le « bâtisseur en chef ». En quelques semaines, Brice Oligui Nguema est parvenu à incarner une figure fédératrice autour de laquelle se cristallisent les espoirs d’un peuple. Faut-il y voir un simple engouement passager ou les prémices d’une refondation durable ? Le pari du Rassemblement des Bâtisseurs est de transformer cette ferveur en un véritable projet national, ancré dans des valeurs de progrès, de solidarité et de dignité.
Si le mouvement des Bâtisseurs suscite autant d’adhésion, c’est qu’il s’appuie sur un bilan de transition déjà riche en actions fortes. Arrivé au pouvoir par un coup de force le 30 août 2023 – qui a mis un terme à 55 ans de règne de la famille Bongo – le général Oligui Nguema a très vite affiché sa volonté de rompre avec les pratiques du passé. Dans les jours suivant la prise de pouvoir, les Gabonais ont ainsi découvert, stupéfaits et applaudissant, des images de valises de billets saisies au domicile de dignitaires de l’ancien régime. Sur les ondes de la télévision publique, le fils de l’ex-président Ali Bongo et plusieurs ex-barons ont été exhibés devant des montagnes de cash présumées provenir de détournements. Le nouveau chef de l’État venait de donner le ton : la prédation qui a marqué l’ère précédente n’aura plus droit de cité. Face à quelque 200 dirigeants d’entreprises gabonaises convoqués au palais, Brice Oligui Nguema a tonné contre la corruption endémique des marchés publics et les surfacturations : « Cette situation ne peut plus durer et je ne la tolérerai plus », a-t-il lancé d’un ton ferme, enjoignant les opérateurs à faire preuve de patriotisme et à restituer à l’État l’argent indûment perçu. « La fête est finie » pour les profiteurs de tout bord, a-t-il averti en substance, traduisant ainsi une soif de gouvernance vertueuse largement partagée par la population.
Parallèlement à cette croisade anticorruption, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) s’est attelé à rebâtir l’architecture politique et institutionnelle du pays. Une assemblée législative de transition, incluant des civils et des opposants modérés, a été mise en place. Fait hautement symbolique, Brice Oligui Nguema a nommé dès septembre 2023 un Premier ministre de transition issu de l’opposition, l’économiste Raymond Ndong Sima, marquant ainsi son souci d’ouverture et d’inclusivité. Sous l’égide du CTRI, un nouveau projet de constitution a été élaboré puis soumis au peuple. « Nous avons rendez-vous avec l’Histoire », proclamait le général-président à l’approche du référendum constitutionnel de novembre 2024. Le texte adopté, salué comme un tournant, introduit pour la première fois dans l’histoire gabonaise la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux septennats et interdit la succession familiale au sommet de l’État. Exit la perspective d’une autre dynastie à vie : désormais, nul ne pourra régner des décennies durant en héritier désigné. Autre changement majeur approuvé : la fonction de Premier ministre a été supprimée dans la nouvelle Constitution afin de rationaliser l’exécutif, tandis que le français est consacré langue de travail officielle – un détail symbolique reflétant la volonté de normalisation institutionnelle. Par ce geste, le régime de transition a voulu montrer qu’il préparait la voie à une démocratie apaisée et régénérée, en rompant clairement avec les dérives de l’ancien système.
Surtout, Oligui Nguema n’a pas perdu de vue les urgences quotidiennes de la population. En l’espace d’un an et demi, des avancées sociales palpables commencent à voir le jour, redonnant crédit à la parole de l’État. Le secteur de la santé, sinistré depuis des années, bénéficie d’un intérêt sans précédent : 1 200 nouveaux postes ont été ouverts pour recruter du personnel médical, des centres régionaux de transfusion sanguine ont été créés, et des cargaisons de matériel médical moderne ont été déployées dans les hôpitaux. Mieux, le président de la Transition a ordonné la gratuité des médicaments essentiels et consommables dans sept grands hôpitaux du pays, une mesure humanitaire saluée par la population. « Il faut être fier du travail extraordinaire que réalise le président pour améliorer notre système de santé », s’enthousiasme le Dr Wenceslas Yaba, coordinateur du Samu social gabonais, qui qualifie les réalisations du CTRI en matière sanitaire d’« inégalables » en si peu de temps. De même, dans le domaine de l’éducation, longtemps parent pauvre, un signal fort a été donné. À l’occasion de la Journée nationale de l’enseignant, Brice Oligui Nguema a rendu hommage aux « héros du savoir » et annoncé une série de mesures concrètes : paiement d’arriérés de salaire attendus depuis des lustres, régularisation des carrières administratives bloquées, plan d’extension des infrastructures scolaires, et même attribution de parcelles de terrain aux enseignants méritants pour les récompenser de leur dévouement. Jamais, disent les syndicats, un gouvernement n’avait aussi rapidement accédé à d’anciennes revendications du corps enseignant. Enfin, conscient que la richesse d’un pays passe aussi par ses routes, ses ponts, son électricité, le régime de transition a lancé des chantiers de réhabilitation des routes à travers le territoire et promis de s’attaquer aux délestages chroniques qui plongent régulièrement les quartiers dans le noir. Partout, des signes de renouveau sont visibles, insufflant un vent d’optimisme après des années d’immobilisme.
En moins de deux ans, le général-président Oligui Nguema a donc posé les jalons d’une profonde transformation. Cette trajectoire fulgurante a généré un capital d’adhésion populaire exceptionnel – le moteur même du Rassemblement des Bâtisseurs. La question reste toutefois posée : cet élan sera-t-il suffisant pour refonder durablement le Gabon ? À court terme, l’initiative a déjà réussi un tour de force : ressusciter l’espoir et réunifier une nation fatiguée par des décennies de monopole oligarchique. Sur la scène internationale, beaucoup observent avec intérêt ce laboratoire gabonais où l’on tente de concilier transition militaire et légitimation démocratique rapide. La présidentielle anticipée du 12 avril 2025, censée rendre le pouvoir aux civils par les urnes, en est l’aboutissement attendu. Brice Oligui Nguema lui-même, cédant aux appels insistants de ses partisans, s’est résolu à briguer cette magistrature suprême pour « continuer l’œuvre de reconstruction ». « Après mûre réflexion et en réponse à vos appels nombreux, j’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle », a-t-il déclaré officiellement dans un discours à Libreville, dressant sa vision d’un Gabon qui se relève de ses cendres. Conformément à la nouvelle loi électorale qu’il a promulguée, le général a dû quitter provisoirement son uniforme pour faire campagne en simple citoyen – un geste hautement symbolique qui montre que l’heure de la politique a sonné. S’il est élu, Oligui Nguema promet de ne pas s’accrocher à son grade militaire : il gouvernera en civil, et garantit même qu’à l’issue de son mandat, il respectera la règle de la limitation des mandats. « Sept ans à la tête du pays ne changeront pas ma façon de penser et d’agir », a-t-il assuré à ses concitoyens, soulignant qu’il restera fidèle à ses valeurs de pragmatisme et de probité. Et s’il était battu – hypothèse qu’aucun observateur n’envisage sérieusement au vu de sa popularité actuelle – le général affirme qu’il « retournerait au quartier », autrement dit qu’il accepterait le verdict des urnes et reprendrait du service dans l’armée.
Évidemment, quelques voix critiques s’élèvent, y compris parmi des opposants restés à l’écart du RDB, pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une concentration du pouvoir autour d’un seul homme providentiel. La nouvelle Constitution, disent-ils, serait taillée sur mesure pour permettre à un chef charismatique de régner en maître pendant quatorze ans, fût-ce par la voie électorale. Mais force est de constater que ces réserves peinent à trouver un écho large tant la soif de renouveau est grande au sein de la société gabonaise. L’heure est à l’optimisme lucide. Optimisme, car les premiers résultats sont là et qu’un peuple désabusé semble renouer avec l’espérance. Lucide, car Brice Oligui Nguema lui-même rappelle que rien ne sera possible sans le concours de tous, sans une éthique de travail et de patriotisme partagée. « Je suis un bâtisseur et j’ai besoin de votre courage, de votre force, pour construire ce pays », a-t-il lancé sous les applaudissements, affirmant ainsi que la refondation du Gabon sera l’œuvre collective de ses filles et de ses fils.
En ce sens, le Rassemblement des Bâtisseurs apparaît comme bien plus qu’une simple plateforme électorale : c’est un appel à l’unité et à la responsabilité de chacun dans le destin national. En rassemblant d’anciens adversaires, en redonnant voix à la société civile, en impliquant les forces vives de la Nation, ce mouvement dessine les contours d’une nouvelle identité gabonaise réconciliée avec elle-même. Certes, tout reste à faire pour traduire l’essai : il faudra tenir les promesses, consolider les institutions, pérenniser la bonne gouvernance au-delà de l’état de grâce. Le chantier est immense. Mais pour la première fois depuis des lustres, nombre de Gabonais veulent y croire. « Donnez-nous votre confiance et votre énergie, et ensemble nous bâtirons un Gabon digne d’envie », clame un proche du président. À quelques jours d’une élection historique, l’heure est au frémissement d’un avenir nouveau. Si Brice Oligui Nguema parvient à transformer l’essai du Rassemblement des Bâtisseurs en véritable refondation, il inscrira son nom en lettres d’or dans l’histoire d’un Gabon enfin régénéré. Alors, l’audace de cette transition atypique aura été payante : elle aura permis, contre tous les pronostics, de redonner au peuple gabonais les clés de son destin, et d’engager résolument la Nation sur la voie d’un renouveau tant espéré.