Agrobusiness au Sénégal : Pourquoi les promesses de Faye et Sonko peinent à convaincre ?

Le Sénégal a récemment vu l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe dirigeante incarnée par le président Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko. Ces anciens inspecteurs des impôts au discours anticorruption ont promis une rupture économique radicale, matérialisée par un ambitieux plan de développement baptisé « Sénégal 2050 ». Au cœur de ce programme figure un plan de développement de l’agrobusiness, secteur clé pour atteindre la « souveraineté alimentaire » du pays à l’horizon 2050. Ce plan vise à moderniser l’agriculture sénégalaise, booster la production locale, créer des emplois en zone rurale et réduire la dépendance vis-à-vis des importations. Cependant, comme pour les plans précédents, il suscite autant d’espoirs que de scepticismes.

Le gouvernement Faye-Sonko mise sur l’industrialisation avec des agropoles régionales, la décentralisation économique et la modernisation des infrastructures agricoles, promettant de transformer radicalement l’économie agricole sénégalaise. En théorie, ces promesses sont séduisantes. Pourtant, à l’analyse, on constate que les annonces manquent cruellement de concret et surtout de réalisme économique. La répétition de promesses déjà formulées par les régimes précédents – de Wade à Macky Sall – contribue à entretenir la méfiance et le désenchantement.

D’abord, les objectifs affichés par Faye et Sonko apparaissent excessivement optimistes au regard des échecs passés. Le cas emblématique du Programme national d’autosuffisance en riz (PNAR) montre comment le Sénégal a constamment repoussé ses échéances d’autosuffisance alimentaire malgré des milliards de FCFA injectés. De même, le programme PRODAC, qui devait révolutionner l’emploi agricole pour la jeunesse, s’est soldé par un fiasco retentissant où l’argent public s’est volatilisé sans résultats tangibles. Quelle garantie offre le tandem Faye-Sonko que leur propre plan ne connaîtra pas le même destin ?

Ensuite, le financement annoncé – estimé à 27 milliards d’euros – laisse perplexe, compte tenu de la fragilité économique actuelle du pays. Les autorités n’ont donné aucune indication claire sur les mécanismes précis de financement, alors même que le FMI et l’agence Moody’s expriment déjà des inquiétudes sérieuses quant à la soutenabilité financière du Sénégal. L’expérience montre que les bonnes intentions sans moyens suffisants conduisent systématiquement à l’échec. Or, la pression fiscale accrue observée récemment sous la nouvelle gouvernance indique plutôt une recherche désespérée de recettes publiques, contredisant la promesse initiale d’allègement fiscal pour attirer les investisseurs privés.

Par ailleurs, le plan agrobusiness souffre d’un manque flagrant de concertation avec les principaux acteurs économiques sénégalais. Youssef Omaïs, influent patron de l’agroalimentaire, critique ouvertement une stratégie jugée déconnectée des réalités du secteur privé. Ce manque d’inclusion des industriels locaux et de pragmatisme risque de conduire à un désengagement des acteurs économiques, alors même que leur contribution est essentielle à la réussite du projet. Sans dialogue constructif et véritable partenariat public-privé, les efforts annoncés risquent fort de rester lettre morte.

Les lenteurs administratives constituent une autre menace majeure. L’exemple de l’Agropole Sud, lancée depuis 2020 mais toujours loin d’être pleinement opérationnelle en 2024, révèle les difficultés chroniques du Sénégal à transformer les grandes idées en réalisations concrètes. Les procédures administratives complexes, les retards répétitifs, et le manque de suivi sérieux des projets restent les véritables ennemis du progrès agricole au Sénégal. De plus, l’expérience passée montre que les projets initiés sont souvent victimes de mauvaise gouvernance, de détournement de fonds ou d’une absence flagrante de transparence financière. Faye et Sonko devront impérativement prouver leur capacité à surmonter ces obstacles structurels s’ils espèrent convaincre une population lassée des promesses vaines.

En outre, le plan de développement ne semble pas suffisamment prendre en compte les enjeux environnementaux et climatiques, pourtant cruciaux pour l’avenir agricole du Sénégal. L’absence de stratégie claire face aux défis tels que la dégradation des sols, la gestion durable des ressources en eau, et l’adaptation des cultures au changement climatique, risque de compromettre à terme les objectifs affichés par les autorités. Une approche intégrée et durable est pourtant indispensable pour garantir des résultats durables et efficaces.

Par ailleurs, la formation et l’encadrement technique des agriculteurs sont largement négligés dans les annonces officielles, alors que ces aspects sont primordiaux pour accompagner la modernisation agricole envisagée. Sans un programme solide de formation continue, d’assistance technique et de transfert technologique au bénéfice des agriculteurs, la modernisation de l’agriculture restera un vœu pieux.

Le gouvernement annonce également des mesures fiscales incitatives pour attirer les investisseurs privés, mais les précédentes expériences montrent que ces incitations restent souvent théoriques, peu accessibles aux petits producteurs et coopératives qui forment pourtant la majorité des acteurs agricoles au Sénégal. Des réformes foncières essentielles à la sécurisation des investissements agricoles, évoquées dans les discours politiques, tardent aussi à se concrétiser clairement.

Enfin, l’équipe dirigeante actuelle semble davantage préoccupée par la symbolique politique à long terme (2050) que par la résolution urgente des problèmes immédiats, comme la baisse des prix alimentaires et l’amélioration rapide du pouvoir d’achat. Or, le mécontentement populaire monte face à des résultats concrets qui tardent à venir, et le gouvernement ne semble pas en mesure de répondre efficacement aux attentes pressantes du quotidien. Il est urgent que le gouvernement recentre ses priorités vers des actions immédiates et visibles afin de restaurer une confiance rapidement fragilisée.

En conclusion, bien que les ambitions affichées par le président Faye et le premier ministre Sonko soient louables, elles restent pour le moment très éloignées de la réalité vécue par les Sénégalais. Sans actions concrètes immédiates, un financement réaliste, une meilleure gouvernance administrative, une prise en compte sérieuse des défis environnementaux, une véritable inclusion du secteur privé local, ainsi qu’une stratégie renforcée de formation agricole et une réforme foncière ambitieuse, le plan Sénégal 2050 risque fort d’ajouter un chapitre de plus au long livre des promesses agricoles non tenues au Sénégal.

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