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Le problème
À la faveur d’une nouvelle fuite de registres immobiliers, l’enquête collective « Dubai Unlocked » recompose une cartographie inédite des actifs détenus par des responsables africains et des figures criminelles à Dubaï. Au-delà de la fascination pour les tours et les archipels artificiels, c’est l’opacité de circuits financiers qui se donne à voir : des biens acquis via des sociétés écrans, des prête-noms ou des structures fiduciaires, parfois au cœur de procédures anticorruption dans les pays d’origine. L’enjeu n’est pas de pointer un pays hôte, mais de comprendre ce que ces données disent des faiblesses de gouvernance africaines et de la mécanique transnationale des flux illicites.
Ce que montrent les données
L’enquête, coordonnée par un consortium de médias et d’ONG, s’appuie sur des fichiers datés principalement de 2022, agrégés à partir de multiples jeux de données, dont des extraits du registre foncier et de services publics. Les partenaires ont dû traiter plusieurs millions de points de données et croiser des centaines de listes pour vérifier propriétaires, lots et valeurs estimées. Une fuite antérieure avait montré l’ampleur du phénomène : environ 800 000 biens et 274 000 propriétaires identifiés, dont un grand nombre d’étrangers. Ici, l’intérêt réside moins dans un total absolu que dans des profils : personnes politiquement exposées, mis en cause dans des affaires de détournements, intermédiaires financiers, ou proches de dirigeants.
Des cas africains emblématiques
Les noms varient d’un pays à l’autre, mais le tableau est cohérent. D’anciens hauts responsables gabonais, des proches du pouvoir au Congo-Brazzaville, des membres de la famille présidentielle de Guinée équatoriale, ou encore des personnalités angolaises déjà au centre d’affaires de prédation, apparaissent comme bénéficiaires économiques ou co-propriétaires de biens. Dans certains cas, la valeur est documentée : villa à 3,6 millions d’euros, portefeuilles cumulés dépassant 14 millions, appartements haut de gamme sur des îles artificielles. L’ensemble dessine une géographie de la rente, où la « pierre » offshore sert de coffre-fort.
Prudence méthodologique
Être mentionné dans une base de données immobilière n’équivaut pas à une preuve de délit. Certaines personnes disposent de revenus légitimes et déclarés, d’autres contestent toute irrégularité. Comme l’ont rappelé des partenaires de l’enquête, « la présence d’un nom ne constitue pas, en soi, une preuve de fraude ». Cette réserve est centrale : l’investigation met en lumière des risques et des incohérences, pas des verdicts. Elle invite à un examen contradictoire, à des demandes d’entraide judiciaire, et à une meilleure publication des bénéficiaires effectifs.
Les mécanismes d’opacité
Pourquoi l’immobilier ? Parce que le marché permet de « stocker » des fonds, parfois anonymement, et de les recycler via la revente. Trois techniques dominent : (1) interposer des sociétés holding, des fondations ou des trusts, souvent logés dans des juridictions opaques ; (2) utiliser des prête-noms – avocats, associés commerciaux, membres de famille – qui masquent le bénéficiaire effectif ; (3) profiter de contrôles variables à l’entrée du marché, notamment en cash ou en crypto, avant de « rebancariser » à la sortie. Des enregistrements sous couverture ont documenté des pratiques laxistes de certains commerciaux (« payer en sacs de cash », « zéro question »), tandis que des développeurs assurent appliquer des diligences renforcées et promettent des enquêtes internes. Les autorités locales martèlent une « tolérance zéro » à la non-conformité et affirment que la ville n’est « pas un refuge pour des fonds illicites ». Ces positions contradictoires illustrent une ligne de crête : un marché très liquide, convoité, où la conformité progresse mais où les angles morts persistent (par exemple, la location, moins couverte par les obligations déclaratives que la vente).
Circuits de blanchiment : du détournement à la pierre
Côté africain, le schéma type associe la fonction publique et l’entrepreneuriat politique. Les fonds détournés sont « couchés » dans des entités relais (entreprises de services, sociétés de conseil, véhicules spéciaux), transitent par des comptes à l’étranger, puis sont convertis en actifs réels. L’immobilier joue un rôle de « couche » dans le blanchiment : il transforme des flux en patrimoine, difficile à saisir sans coopération internationale. Ces logiques ne sont pas propres au Golfe : Londres, Johannesburg, Paris ou l’Île Maurice sont aussi concernés. Mais Dubaï concentre un faisceau d’attracteurs : convertibilité, sécurité, connectivité aérienne, rendement locatif, statut social et une galaxie « d’intermédiaires professionnels » (banquiers privés, avocats, agents immobiliers) susceptibles de faillir à l’obligation de vigilance.
Transparence et régulation : un paysage en mouvement
Sur le plan international, les signaux sont contrastés. Les autorités émiriennes ont multiplié ces dernières années les réformes et les sanctions administratives, au point d’obtenir la levée de la surveillance renforcée par le Groupe d’action financière (GAFI) début 2024. L’Union européenne a, de son côté, retiré en 2025 les Émirats de sa liste interne de pays à haut risque pour le blanchiment. Ces décisions reconnaissent des progrès tangibles ; elles ne ferment pas le dossier : des associations anticorruption estiment la vigilance encore inégale, et appellent à poursuivre la montée en charge des contrôles, notamment sur les bénéficiaires effectifs et les déclarations d’opérations suspectes par les professionnels de l’immobilier.
Coût pour les sociétés africaines
Le sujet dépasse la morale pour toucher aux équilibres macroéconomiques. Selon les estimations onusiennes, l’Afrique perd des dizaines de milliards de dollars par an en flux illicites : autant de ressources qui manquent aux budgets publics, à l’investissement et aux services essentiels. Chaque appartement « offshore » acquis par un responsable peu scrupuleux se traduit, potentiellement, par une école non construite, un centre de santé sous-équipé, une route jamais réhabilitée. Pour les Trésors nationaux, la question est celle de la traçabilité : comment relier l’actif à la personne, prouver l’origine illicite des fonds, et obtenir une décision de restitution ?
Réactions et stratégies côté africain
Plusieurs États ont lancé des audits patrimoniaux ou des investigations ciblées sur des personnalités exposées. Des parquets spécialisés renforcent leur expertise financière ; des unités de renseignement financier (URF) échangent plus systématiquement avec leurs homologues. La société civile (ONG, journalistes d’investigation, lanceurs d’alerte) joue un rôle d’aiguillon. Au-delà des cas individuels, trois priorités émergent : (1) généraliser des registres nationaux et interopérables des bénéficiaires effectifs ; (2) imposer des déclarations de patrimoine crédibles et contrôlables pour les responsables publics ; (3) recourir davantage à l’entraide pénale internationale et aux mécanismes de recouvrement d’avoirs, y compris les accords transactionnels assortis de garanties de transparence.
Ce que « Dubai Unlocked » change
L’enquête ne crée pas le problème ; elle le documente avec une granularité nouvelle. En établissant des correspondances entre lots, personnes et entités, elle fournit aux autorités africaines des pistes concrètes à exploiter : adresses, surfaces, périodes d’acquisition, copropriétaires. Elle met aussi chacun face à ses responsabilités : dirigeants, pour expliquer l’origine des fonds ; professionnels, pour renforcer la vigilance ; partenaires internationaux, pour automatiser les échanges d’informations et fermer les interstices par lesquels s’évanouissent des recettes publiques.
Conclusion
« Dubai Unlocked » n’est ni un réquisitoire contre un hub financier, ni une chambre d’échos de soupçons. C’est un révélateur. Il montre comment l’immobilier devient, pour certaines élites africaines et pour des réseaux criminels, un instrument de conservation et de recyclage de richesse. La réponse ne peut être que systémique : transparence des bénéficiaires, diligences renforcées sur les personnes exposées, coopération judiciaire, et exemplarité au sommet des États africains. C’est à ce prix qu’une carte des gratte-ciel cessera d’être la topographie des angles morts, pour redevenir ce qu’elle devrait être : un paysage d’investissement productif et licite, au service d’économies africaines plus fortes et plus justes.