Guinée-Bissau : Le bras de fer entre pouvoir et opposition plonge le pays dans la crise

La Guinée-Bissau traverse actuellement l’une des crises politiques les plus profondes de son histoire récente. Depuis plusieurs mois, une confrontation majeure oppose le président Umaro Sissoco Embaló à une opposition déterminée à bloquer les institutions pour provoquer un changement politique. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, habitué aux turbulences et aux tensions récurrentes, la situation politique s’est récemment aggravée au point de paralyser progressivement les mécanismes de gouvernance.

Au cœur de cette impasse, une divergence majeure sur la durée du mandat présidentiel cristallise le conflit. Selon les principaux partis de l’opposition, dont la coalition PAI Terra Ranka et l’Alliance populaire inclusive (API), le mandat d’Embaló aurait dû prendre fin le 27 février 2025, exactement cinq ans après sa prise de fonction. Ce jour-là, l’opposition a lancé un appel à la « paralysie générale », exhortant la population à cesser toutes activités professionnelles et commerciales afin d’exercer une pression maximale sur le président. Cet appel à la désobéissance civile, soutenu par plusieurs figures de l’opposition comme Domingos Simões Pereira et l’ancien Premier ministre Nuno Gomes Nabiam, a entraîné une interruption partielle des activités économiques et administratives, reflétant une crise politique qui déborde désormais du simple cadre institutionnel pour toucher le quotidien de la population.

Cette mobilisation populaire orchestrée par l’opposition traduit une stratégie délibérée d’asphyxie politique destinée à forcer Embaló à accepter une transition immédiate. Au-delà des grèves générales, l’opposition refuse catégoriquement de reconnaître la légitimité présidentielle au-delà de la date butoir qu’elle a fixée, affirmant qu’un maintien au pouvoir serait contraire à la Constitution du pays. Une position inédite en Guinée-Bissau, où les forces politiques habituellement divisées se retrouvent aujourd’hui unies face à un adversaire commun.

Pour autant, le président Embaló n’entend pas céder aux pressions. Il bénéficie de l’appui de la Cour suprême qui a récemment validé la prolongation de son mandat jusqu’en septembre 2025, invoquant des considérations juridiques et constitutionnelles particulières. Cette décision a exacerbé les tensions, poussant l’opposition à intensifier sa mobilisation populaire. La répression systématique des manifestations et la multiplication des arrestations temporaires de figures de l’opposition n’ont fait qu’aggraver la défiance et renforcer le sentiment de crise.

Cette impasse actuelle prend racine dans un contexte politique déjà extrêmement tendu depuis plusieurs années. L’élection d’Embaló en 2019, dans un scrutin très serré face à Domingos Simões Pereira du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), avait marqué le début d’une cohabitation particulièrement complexe. La prise de pouvoir rapide d’Embaló, avant même la validation complète des résultats électoraux par les institutions compétentes, avait dès le départ créé des fractures politiques profondes, donnant le ton à une présidence marquée par des tensions quasi-permanentes avec l’opposition parlementaire.

Ces tensions institutionnelles avaient conduit à une dissolution anticipée du Parlement en 2022 par Embaló, suivi par des élections législatives anticipées en juin 2023, remportées largement par l’opposition. Cette victoire renforça considérablement l’influence de la coalition Terra Ranka et obligea le président à accepter une difficile cohabitation avec un gouvernement majoritairement hostile à ses politiques. Cependant, cette cohabitation n’a pas résisté aux conflits répétés sur la gestion des affaires courantes, conduisant finalement à une nouvelle dissolution parlementaire en décembre 2023, après de violents incidents impliquant des membres des forces armées et du gouvernement, accusés mutuellement de tentative de déstabilisation.

Dans ce contexte déjà chaotique, l’opposition a jugé que la prolongation du mandat présidentiel représentait un danger réel pour la démocratie et la stabilité nationale. Cette crise révèle ainsi une faiblesse institutionnelle majeure du système semi-présidentiel bissau-guinéen, caractérisé par des compétences exécutives mal définies entre le président et le gouvernement, qui facilitent l’apparition régulière de telles situations de blocage. Cette faiblesse structurelle du système politique explique en partie pourquoi le pays a connu, depuis son indépendance en 1974, une série quasi-ininterrompue de crises institutionnelles, coups d’État militaires et épisodes de violence politique.

Sur le terrain, les effets de cette paralysie institutionnelle commencent à se faire lourdement sentir. L’administration publique tourne au ralenti, les écoles fonctionnent de manière intermittente, et les services de santé, déjà fragilisés par des années d’instabilité, sont au bord de l’effondrement. La population, prise en otage par cette lutte politique, exprime une lassitude croissante. Un sentiment résumé par les propos d’un enseignant de Bissau, qui souligne sous anonymat : « Nous sommes fatigués de ces conflits sans fin. Nous voulons juste un peu de stabilité pour avancer ».

La communauté internationale suit cette situation avec inquiétude, consciente qu’une aggravation pourrait avoir des conséquences régionales importantes. Une médiation récente menée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’a toutefois pas réussi à débloquer la situation, chaque camp restant sur des positions inconciliables.

Aujourd’hui, la Guinée-Bissau se trouve ainsi prise au piège dans un bras de fer politique qui menace de dégénérer si aucune issue négociée n’est rapidement trouvée. Le président Embaló a certes annoncé des élections générales prévues en novembre prochain, mais l’opposition doute fortement de sa sincérité, craignant un nouveau report. En l’absence d’une médiation réussie ou d’un compromis politique interne majeur, le risque d’une déstabilisation profonde, voire d’un retour à la violence politique, demeure réel. La Guinée-Bissau, pays aux fragilités chroniques, se retrouve donc à nouveau confrontée à ses vieux démons : ceux d’une instabilité politique persistante qui continue d’hypothéquer lourdement son avenir.

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